TESTO INTEGRALE CON NOTE E BIBLIOGRAFIA
Les économistes français aiment comparer la France à d’autres pays européens, surtout depuis que la France semble, comparativement à d’autres pays, plus souffrir dans les périodes de crise économique, et moins profiter des périodes de croissance. Dans le champ de l’analyse économique du droit est donc naturellement apparue une série de modèles à suivre, et, bien entendu, le droit du travail a été, au premier chef, concerné. Ainsi, ces dernières années, ce sont les modèles hollandais , allemand , ou danois qui ont parfois pu être mis en valeur. Dans cet inventaire à la Prévert, une caractéristique : officiellement, depuis une vingtaine d’années, la France regarde vers le Nord, et surtout pas vers les pays du Sud comme l’Italie.
Pourtant, dans une réflexion plus strictement juridique, il apparaît bel et bien que, depuis les années 1960, l’Italie soit devenue, sinon un modèle, du moins un terrain d’enseignements juridiques fertile pour le législateur français. Afin de cadrer quelque peu le sujet, nous avons choisi de nous centrer sur le thème des ruptures des contrats de travail, et en particulier du droit du licenciement. Ainsi, la loi italienne de 1966 sur les licenciements et le statut des travailleurs de 1970 ont eu une influence certaine sur la réforme française du droit du licenciement en 1973 (I), tandis que, dans les années 2000, ce sont plus des formes d’aller-retours entre réformes françaises et italiennes qui sont apparues, entre le contrat nouvelles embauches (2005), le Jobs Act (2015) et les ordonnances dites Macron (2017) (II).
I – L’Italie en avance : la loi de 1966 et le statut des travailleurs de 1970
A la fin des années 1960 et au début des années 1970, le droit du travail français se caractérise par une certaine stabilité, qui pourrait être considéré également comme une forme d’immobilisme. Certes, les évènements de 1968 ont provoqué les accords de Grenelle , mais, mis à part la création de sections syndicales en entreprise, les mesures prises, comme l’augmentation des salaires, sont plus d’ordre conjoncturel que structurel. Ainsi, le droit du licenciement, par exemple, ne fait pas l’objet de réformes avant la crise économique des années 1970.
En comparaison, l’Italie est marquée, dans cette période précédant la crise pétrolière, par deux grandes normes, d’ampleur distincte : la loi n°604/1966 relative aux licenciements, et le statut des travailleurs de 1970. Ces deux textes vont avoir une influence directe, explicite dans le débat français du droit du licenciement.
Le droit français du licenciement de l’époque est en effet essentiellement jurisprudentiel, peu précis, et laissant au salarié une charge importante de la preuve en cas de contestation des motifs de la rupture. Aucun texte français ne définit les motifs du licenciement, la procédure à suivre, et les sanctions encourues en cas de licenciement illégitime.
A - La mise en place d’une procédure de licenciement sur le modèle italien
Au début des années 1970, la France ne précise toujours pas la procédure de licenciement, qui peut se faire sans préavis, à l’oral, et sans motif explicite. Le droit français va ainsi directement reprendre des solutions posées dans la loi italienne du 15 juillet 1966 n°604/1966.
Cette loi italienne pose de manière claire que, pour être valide, un licenciement doit être justifié par l’employeur. Par rapport au Code civil italien de 1942, seul texte précédemment applicable, le changement est important. La liberté de rompre existe toujours, mais, pour l’employeur, elle nécessite, de manière générale, une motivation juste. Cette loi pose également une différenciation plus prononcée entre la rupture à l’initiative du salarié ou de l’employeur : l’exigence de motivation ne se retrouve pas pour le salarié souhaitant rompre son contrat à durée indéterminée. Cet article établit également une distinction, à clarifier, entre la notion de « juste cause » (giusta causa), figurant à l’article 2119 du Code civil, et celle, nouvelle, de « juste motif », ou « motif justifié » (giustificato motivo).
La loi n°604/1966 prévoit surtout une procédure applicable en cas de licenciement, dans laquelle l’employeur doit notifier par écrit la rupture. Le salarié peut en outre solliciter une motivation écrite des motifs déterminant la rupture. Le non-respect de cette procédure rend le licenciement inopérant. Le législateur français va directement reprendre ce principe dans la loi de 1973. Celle-ci détermine ainsi une procédure de licenciement à suivre par l’employeur. Le droit français va même plus loin que le droit italien, en déterminant trois étapes : une convocation à un entretien préalable, la réalisation de cet entretien pendant lequel les motifs du licenciement sont énoncés et peuvent être débattus, et enfin la notification écrite du licenciement via une lettre de licenciement portant mention des motifs. En France, sept ans après l’Italie, on met donc fin à des licenciements oraux sans aucune procédure. La justification de cette évolution est double. Elle est certes, de manière évidente, faite pour protéger le salarié et lui permettre de mieux se défendre en ayant connaissance des motifs. Mais elle est aussi un guide, voire même une forme de sécurisation de l’employeur, qui dispose maintenant d’un « mode d’emploi » pour bien licencier. En la matière l’Italie a donc montré la voie à suivre, même si le droit français a été plus loin dans la fixation d’une procédure précise de licenciement.
B - La sanction du licenciement illégitime : dédommager ou réintégrer ?
En 1973, le législateur français doit également déterminer quelles sont les conséquences d’un licenciement illégitime, sans cause réelle et sérieuse. Le statut des travailleurs italien nourrit directement le débat doctrinal français.
Pour rappel, ce statut prévoit dans sa rédaction de 1970 que lorsque le licenciement est injustifié, les conséquences indemnitaires différent en fonction de la taille de l’entreprise. Le législateur a prévu deux « protections » (tutela) possibles pour le salarié licencié sans juste motif : la protection réelle et la protection obligatoire (tutela reale / tutela obbligatoria), qui peuvent, selon les hypothèses, permettre un dédommagement, une réintégration ou une réembauche.
Détaillée à l’article 18 du statut des travailleurs, la protection réelle pose le principe, en cas de licenciement illégitime, d’une réintégration du salarié à son poste ; elle prévoit également la condamnation de l’employeur à payer des dommages et intérêts d’une somme au moins égale à cinq mois de salaire, éventuellement majorée en cas de comportement fautif de l’employeur, et par tout autre préjudice prouvé. L’employeur doit en outre payer les salaires correspondant à la période illégitime de rupture du contrat. Le salarié qui ne souhaite pas réintégrer son poste a la possibilité de demander des dommages et intérêts, au moins équivalents à quinze mois de salaire. Cette protection réelle constitue une forte garantie juridique pour le salarié abusivement licencié, et un coût économique certain pour l’employeur. Le régime de la protection réelle s’applique dans les trois hypothèses suivantes : si l’employeur emploie plus de quinze salariés (ou plus de cinq dans une entreprise agricole) dans chaque unité productive ou dans chaque bureau ou établissement ; si l’employeur emploie plus de quinze salariés (ou plus de cinq dans une entreprise agricole) dans la même commune, même s’ils étaient répartis au sein de plusieurs unités productives ou établissements ; si l’employeur emploie plus de soixante salariés.
Protection minimale, de droit commun, contre les licenciements injustifiés, la protection obligatoire est prévue à l’article 8 de la loi n° 604/1966 modifié par l’article 2 de la loi n° 108/1990 . En cas de jugement déclarant illégitime le licenciement, l’employeur est condamné à réembaucher le salarié sous trois jours, ou bien, s’il le juge plus souhaitable, à le dédommager de son préjudice en lui versant une indemnité comprise entre deux mois et demi et six mois de salaire, calculée en fonction du nombre de salariés dans l’entreprise, de l’ancienneté du salarié licencié et des éventuelles fautes commises. L’employeur a ainsi le choix entre le dédommagement et la réembauche. Le salarié peut également, le cas échéant, refuser d’être réembauché et préférer une indemnisation. Il n’a par contre pas la possibilité de solliciter le réemploi à la place d’un dédommagement. La protection obligatoire est en ce sens plus faible pour le salarié qui ne peut s’opposer à la rupture de son contrat si l’employeur ne veut pas le réembaucher.
Ce dualisme entre ces deux formes de protections possibles se retrouve au cœur du débat doctrinal français de 1973.
D’un côté, la doctrine la plus favorable aux salariés, aidée par la position de la plupart des syndicats de salariés, même modérés, estime qu’en cas de licenciement illégitime, il faut réintégrer le salarié. De l’autre côté, une doctrine plus libérale souhaite juste instaurer un dédommagement, sans remettre en cause la rupture.
Par exemple, dans un article de la revue Droit Social de mars 1973, F. Naudé, exprimant la position du syndicat CFDT, défend fortement, avant le vote de la réforme du droit des licenciements, l’instauration d’une réelle protection de l’emploi en cas de licenciement abusif, avec comme sanction la réintégration du salarié, sur le modèle de la protection réelle du statut des travailleurs : « Alors que le principe de la nullité du licenciement prononcé en violation des dispositions légales n’est plus discuté dans un certain nombre de pays (Allemagne, Italie), ainsi que le principe de la réintégration qui en découle, le projet de loi ne prévoit la réintégration que si le patron et le travailleur l’acceptent. L’idée dominante reste donc celle selon laquelle la réintégration n’est pas possible contre la volonté de l’employeur. (…) La réintégration serait la seule mesure qui puisse réparer le préjudice résultant pour l’employeur de la privation de son emploi et reconnaître son droit au travail » . Cette position est, à l’époque, partagée par beaucoup de juristes, et notamment J.-J Duperoux, le directeur de la revue Droit social .
La loi du 13 juillet 1973 impose à l’employeur de motiver le licenciement , et au juge de contrôler le caractère « réel et sérieux » desdits motifs . Dans cette loi, le choix opéré est cependant celui d’une indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse, principe figurant toujours aujourd’hui dans l’article L.1235-3 du code du travail , au détriment de la logique de réintégration. Le statut des travailleurs italien a donc nourri le débat français, mais n’a finalement pas été repris par le législateur. En 1973, G. Lyon-Caen et M.-C. Bonnetete, commentent de manière très critique ce choix : « La loi du 13 juillet 1973 laisse donc subsister le droit unilatéral et préalable de licencier. Elle ne pouvait probablement pas, dans la conjoncture où elle est intervenue, faire autre chose. Loi modeste, de capitulation devant les faits, plutôt que de réforme. (…) Il en est également ainsi pour la réintégration du salarié en cas de licenciement irrégulier (…). Alors que plusieurs juridictions de référés au cas le licenciement est non seulement fautif mais prononcé en violation directe de la loi n’hésitaient plus à ordonner la réintégration, la loi fait marche arrière et rend la réintégration toujours facultative pour l’employeur. La loi est donc de fermeture, non d’ouverture » .
Le législateur de 1973 a certainement été sensible aux arguments d’une certaine doctrine libérale, invoquant déjà le risque d’un effet pervers d’une trop grande protection des salariés sur les décisions d’embaucher. A. Sauvy indique ainsi, concernant la restructuration de l’entreprise horlogère LIP, avec un argumentaire d’une étonnante actualité : « L’affaire LIP et bien d’autres ont montré combien les salariés étaient devenus sensibles à la crainte d’un licenciement, particulièrement les cadres, et combien ils souhaiteraient la sécurité de ce côté. (…) Supposons que, sous la pression des syndicats et aussi de l’opinion, les pouvoirs publics décident d’interdire les licenciements, ou de les rendre très difficiles. Les entreprises ne recruteront désormais qu’avec prudence attitude qui retombera cette fois encore sur les jeunes » .
En conclusion provisoire de cette première partie, nous pouvons donc indiquer les éléments suivants. Le droit italien de l’époque est en avance sur les normes françaises, et nourrit ainsi directement la réforme du droit des licenciements de 1973. Le statut des travailleurs est notamment une véritable source d’inspiration pour les syndicats mais aussi pour de nombreux prestigieux juristes français comme J.-J Dupeyroux ou G. Lyon-Caen, même si le législateur de 1973 ne reprendra finalement pas la protection réelle en droit positif.
En faisant un saut brusque dans le temps, pour nous retrouver dans la période contemporaine, le constat est un peu différent. Les droit français et italiens, depuis 2005, s’influencent mutuellement, pour le meilleur et, peut-être surtout, pour le pire.
II – Les influences réciproques du contrat nouvelles embauches aux ordonnances Macron, en passant par le Jobs Act.
A la différence du début des années 1970 où le droit italien du licenciement était en avance sur le droit français, la période contemporaine se caractérise plutôt, toujours en matière de droit des licenciements, par des influences réciproques croisées. C’est cependant la France qui, la première, choisit de rouvrir la boite de Pandore en modifiant, en 2005, la loi de 1973 avec le « contrat nouvelles embauches » (A). L’Italie va dès lors également chercher à modifier le statut des travailleurs avec les réformes Fornero et Renzi (B), influençant à nouveau le législateur français de 2017 (C).
A – Le contrat nouvelles embauches (CNE), ou le retour des réformes du licenciement
A l’orée des années 2000, le gouvernement français souhaite modifier le droit du licenciement, afin de le sécuriser, surtout pour les employeurs.
Aux termes de l’ordonnance du 2 août 2005 relative au contrat nouvelles embauches, les employeurs qui entrent dans le champ d’application de l’ancien article L.131-2 du code du travail et qui emploient au plus 20 salariés peuvent conclure ce nouveau type de contrat de travail. Si celui-ci est qualifié de contrat à durée indéterminée , il n’est pas soumis, pendant les deux premières années, au droit commun du licenciement prévu aux anciens articles L.122-4 à L.122-11, L.122-13 à L.122-14-4, et L.321-1 à L.321-17 du code du travail . Pendant cette période, dite « de consolidation », la rupture peut donc s’opérer sans procédure particulière , ni, surtout, de motivation écrite à fournir au salarié . En l’absence de motif de rupture à apporter par l’employeur, pendant la période de consolidation, le contrôle judiciaire des licenciements devient hypothétique, malgré la possibilité, incertaine, d’invoquer un éventuel abus de droit de licencier. Dès son entrée en vigueur, le contrat nouvelles embauches (CNE) connait un succès remarquable dans les petites et moyennes entreprises, avec 440.000 contrats signés entre août 2005 et mars 2006 .
Cependant, ce contrat fait l’objet de recours en justice , notamment fondés sur l’absence de conformité entre l’ordonnance précitée et la convention n°158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) . Par un premier arrêt du 29 mars 2006 , puis, suite à une conclusion de non-conformité prononcée par le conseil d’administration de l’OIT , un second, beaucoup plus explicite, du 1er juillet 2008 , la chambre sociale de la Cour de cassation déclare le contrat nouvelles embauches non conforme à la convention n°158 de l’OIT . La loi de modernisation du marché du travail scelle le sort du CNE en les requalifiant les contrats existants en contrat à durée indéterminée de droit commun . La tentative de se soustraire au contrôle du juge lors d’un licenciement a donc été un échec. L’idée de sécuriser et de simplifier les ruptures va cependant être reprise en Italie, par le biais d’une remise en cause du statut des travailleurs.
B – Les réformes Fornero et Renzi influencées par le CNE ?
A la différence du droit français, le droit italien va réfléchir, à partir de 2012, à une modification des conséquences des licenciements illégitimes, souhaitant remettre en cause non la procédure ni la motivation du licenciement, mais la protection réelle prévue par le statut des travailleurs, c’est-à-dire le « totem » constitué par l’article 18 du statut.
La première réforme de 2012 modifie ainsi en profondeur cet article 18 en amoindrissant la protection réelle du salarié en cas de licenciement. Le régime de réintégration ou d’indemnisation dépend de la nature du licenciement . Par exemple, en cas de licenciement discriminatoire, une possibilité de réintégration est maintenue. Concernant les licenciements économiques, le nouveau régime juridique n’est guère simple. En cas de licenciement économique individuel (giustificato motivo oggettivo) jugé illégitime, l’employeur n’est en principe plus tenu de réintégrer le salarié, mais devra lui verser une indemnité comprise entre quinze et vingt-quatre mois de salaire. Le législateur a donc bien mis fin à la protection réelle du salarié que constituait sa réintégration en cas de licenciement économique dénué de « cause réelle et sérieuse » (pour reprendre, peut-être improprement, les catégorisations françaises). Ce faisant, le législateur va dans le sens d’anciennes revendications patronales qui militaient pour la remise en cause de ce régime de réintégration.
Cependant, s’il est avéré que le fait objectif ayant motivé le licenciement est non seulement illégitime mais aussi manifestement inexistant , le juge peut quand même ordonner la réintégration du salarié.
Le régime des licenciements économiques collectifs est également concerné par la réforme. En cas de licenciement « inefficace » d’un point de vue procédural, c’est-à-dire si l’employeur n’a pas respecté, par exemple, les règles encadrant la procédure de licenciements collectifs, le juge peut condamner l’employeur à verser au salarié une indemnité d’un montant compris entre six et douze mois de salaire.
C’est sur le contrôle des motifs de licenciement économique individuel que la réforme est la plus intéressante. Tout en flexibilisant expressément les ruptures, en supprimant le principe de la réintégration systématique au profit de celui du dédommagement, la nouvelle loi laisse au juge une marge de manœuvre inédite : si celui-ci estime que le licenciement est manifestement inexistant ou infondé, il garde la possibilité d’ordonner la réintégration, tandis que s’il le juge simplement illégitime, la sanction sera une indemnisation. Ces points sont complexes, et générateurs de nombreuses incertitudes.
Face à ces défauts, le législateur, et le nouveau gouvernement dirigé par Matteo Renzi entreprennent une nouvelle réforme des modes de contrôle et d’indemnisation des licenciements économiques par les juges. Cette loi du 10 décembre 2014 , communément appelée « Jobs Act», provoque en décembre 2014 une grève générale, massive mais brève.
Son article 7c modifie le régime des sanctions des licenciements économiques pour les personnes embauchées à compter de la date de mise en application de la nouvelle loi. Cet article a pour but de « renforcer les opportunités d’emploi dans le monde du travail pour ceux qui sont en recherche d’emploi ». Il prévoit notamment, pour les embauches à durée indéterminée, la création d’un nouveau type de contrat, le « contrat à protections croissantes », qui exclut, pour les licenciements économiques jugés illégitimes, la réintégration du salarié, au profit d’une indemnisation certaine et croissante avec l’ancienneté . Le décret législatif du 4 mars 2015 a précisé le contenu de cette loi , et particulièrement le régime du nouveau contrat de travail à protections croissantes qui s’applique aux salariés embauchés en CDI à compter du 7 mars 2015. Afin de favoriser leur embauche, le législateur a mis au point un nouveau régime de licenciement. Pour les licenciements discriminatoires, ou réalisés oralement, la sanction reste la réintégration pour tous les salariés. Pour les licenciements pour motifs disciplinaires, la réintégration n’est possible que si l’on constate une inexistence du fait matériel contesté. Par contre, dans toutes les autres hypothèses, et notamment pour tous les licenciements économiques illégitimes, on parlera de licenciement injustifié. L’évolution est ici importante : la réintégration est impossible, et l’indemnisation va dépendre d’un barème imposé au juge. Celui-ci, fixé par le décret, est initialement de deux mois de salaire par année d’ancienneté, avec un minimum de quatre mois versés, et un maximum de vingt-quatre mois.
C – la reprise en France de l’idée du barème d’indemnisation
Cette idée de barémiser les indemnités de rupture est immédiatement reprise par le gouvernement français. Après plusieurs tentatives avortées , les ordonnances «Macron » ont finalement pu imposer une forme de barémisation et de plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il n’apparaît pas nécessaire de revenir ici sur ces dispositions largement étudiées dans les revues juridiques françaises , et figurant aux articles L.1235-3 et suivant du Code du travail, qui définissent, en fonction de l’ancienneté du salarié et de la taille de l’entreprise, des planchers, et, surtout, des plafonds d’indemnisation.
Mentionnons cependant que le titre du chapitre II de l'ordonnance n° 2017-1387 montre l’intention du législateur: il s’agit désormais de «réparer» le licenciement et non de dédommager le salarié de son préjudice, Selon F. Batard et M. Grévy , «la sanction civile se dissout plus que jamais dans une « taxation » dont l'objet est de dissuader le salarié d'agir en justice ou, à tout le moins, de permettre à l'employeur d'anticiper et de provisionner exactement le montant auquel, le cas échéant, il sera condamné».
Le lien avec la réforme «Renzi» de 2015 est ainsi étroit: dans les deux systèmes, le législateur a cherché à limiter l’indemnité de licenciement illégitime et à la rendre plus prévisible pour l’employeur. Sur le site servicepublic.fr, un simulateur en ligne est même dorénavant disponible pour calculer, en fonction de l’ancienneté du salarié et des effectifs de l’entreprise, ce plancher et ce plafond possible d’indemnisation . Notons que les plafonds français sont inférieurs à ceux fixés par le législateur italien.
Comme en Italie, de rares exceptions peuvent permettre d’échapper au plafond. De manière dérogatoire, le montant de l'indemnité prud'homale ne peut pas être inférieur aux salaires des six derniers mois lorsque le juge constate que le licenciement est nul parce qu'il est intervenu, notamment: en violation d'une liberté fondamentale, en lien avec des faits de harcèlement moral ou sexuel, en application d'une mesure discriminatoire ou à la suite d'une action en justice engagée par le salarié sur la base des dispositions réprimant les discriminations .
La récente condamnation de l’Italie par le Comité européen des droits sociaux indiquant que la barémisation était contraire à la Charte sociale européenne montre à nouveau, douze ans après l’échec du CNE, l’impasse d’une dérèglementation du droit du licenciement. Si l’influence du droit italien sur le droit français fut vertueuse dans les années 1970, les influences croisées de notre époque le sont moins. La France risque d’ailleurs, à terme, d’avoir également sa réforme du droit du licenciement condamné par le comité européen des droits sociaux, voire même l’OIT.
Les relations entre les droits français et italiens sont donc, depuis cinquante ans, étroites. La seule analyse économique du droit, dominante dans nos pays, masque cette réalité, qui correspond à la grande proximité culturelle, sociale, juridique et économique de ces deux pays. S’il n’est pas pertinent de parler d’un modèle italien ou français, il faut certainement juste constater que ces deux droits s’influencent réciproquement comme dans aucun autre pays européen. A l’heure du cinquantenaire du statut des travailleurs, posons seulement un souhait : celui qu’à l’avenir, et comme dans les années 1970, les influences croisées des droits français et italiens soient vertueuses, ou au moins conformes au droit international du travail.